J'ai assisté à une conférence sur "Les relations entre arts numériques et industrie de la création" dans le cadre des Nuits Sonores. Une conférence très intéressante qui nous permettra de mieux cerner les enjeux des exemples proposés (publicité, jeux vidéos) pour la musique et les artistes.
Une conférence animée par Joseph Ghosn (journaliste aux Inrokuptibles), avec les interventions de Clotilde Floret (pop-corn, utilisation de musiques dans la publicité), Thomas Fontin (sound designer, sur le thème de la musique dans les jeux vidéos), et de Nicolas Thély (ancien journaliste aux Inrokuptibles et depuis universitaire à Paris I).
Une conférence sous le signe de la convergence historique entre arts et industrie (en citant notamment le mouvement du Bauhaus dans les années 30, les comic strip et Krazy Kat). Une rupture semble toutefois émailler le discours, la rupture punk des années 70 ainsi que la rupture sémantique (musique indé/mainstream... en remplaçant le "mainstream" par "commercial"). Une rupture vue comme une opposition politique de l'Auteur contre l'industrie. La suite, c'est la réappropriation par le biais du sampling et des dj d'une culture de masse et la re-matérialisation de la musique. cette re-matérialisation qui continuerai avec l'utilisation de la publicité comme principale source de revenus pour les artistes.
Dans les faits, on peut se poser plusieurs questions. L'artiste qui conçoit des musiques pour des publicités, des jeux vidéos, produit-il de l'art, ou n'est-ce qu'un travail alimentaire ? La césure entre les deux concepts est-elle si nette et n'est-elle pas sujette à réappropriation par les passeurs de commandes d'une "démarche artistique" qui n'en serait pas une ? L'art comme valeur ajoutée, mais si l'art n'est qu'une commande, est-ce de l'art ?
La publicité représente aujourd'hui un énorme moyen de subsistance pour un artiste, un spot de publicité de 20 secondes, diffusé pendant 1 an peut représenter l'équivalent de 40000 ventes de disques et un revenu de 20000€ pour l'artiste. ces chiffres dépendent bien sûr de plusieurs autres facteurs (médias (tv, radio, internet, cinémas), durée du spot...), mais c'est a priori une moyenne. 70 à 80% des musiques de spots publicitaires ne sont pas éditées, cela signifie qu'elles sont crées à la demande dans l'unique but de la publicité. Avec un cahier des charges très stricte à respecter (avec même des notions de couleurs !), des formats différents voire très courts (2 secondes à 30 secondes...), la publicité devient un autre moyen de subsistance, et peut aussi être un autre moyen de promotion.
L'artiste ne devient-il pas un outil au service de la publicité, son identité n'est-elle pas noyée dans celle de la marque ainsi que sa démarche artistique ? Sans compter que la "musique sur commande" est-elle vraiment compatible avec une critique, une réflexion, sur sa société, ou ses propres passeurs de commande ?
Le jeu vidéo est dans une autre posture. La musique présente dans les jeux vidéo est sous sa forme actuelle récente (depuis l'avènement des consoles avec des cd, PC-Engine, Mega-CD, Playstation...) présente depuis peu. Néanmoins dans l'histoire générale des jeux vidéos, elle est présente depuis le début. Et surtout elle est incluse dans la démarche artistique de création du jeu. Les musiques de Pacman, Donkey Kong, si minimalistes soient-elles sont aussi des petits bouts de création artistique libre, car très souvent non soumises à des commandes sur des critères précis. La musique dans les jeux vidéos est aussi présente dès les années 80-90 avec notamment les productions des Bitmap Brothers (Xenon 2 et son Bomb the Bass sur Amiga et Megadrive), Moonwalker (et les tubes de Mickaël Jackson sur megadrive), puis après Biometal sur Super Nintendo (musique de 2Unlimited !). Le plus souvent elle est prise telle quelle, sans qu'elle ne subisse d'autres modifications que celle induites par le matériel. Cette conception existe toujours, et c'est d'ailleurs toujours celle qui est la plus utilisée dans les jeux (Need for Speed et son autoradio, les jeux de football qui utilisent la musique "FM" dans leurs présentations et menus, le jeu sur le Seigneur des Anneaux qui reprend les musiques du film...). Elle tend à devenir de plus en plus "interactive". Une voie démarrée dans les années 90, la musique qui s'adapte à des situations auxquelles le joueur est confronté : Street Fighter 2 (version arcade), la musique change de rythme quand un des deux combattants n'a plus beaucoup de vie, une grosse partie des jeux d'action (shoot-them-up, beat-them-all...) avec les changements de musique dès qu'un gros boss arrive (le plus souvent un punk ou un gros char/avion), les jeux Neogeo qui peuvent avoir plusieurs "notifications" (quand on a plus beaucoup de vie, quand on peut lancer une attaque de fou...), les exemples sont multiples...
Quand la musique se veut "adaptative", elle sert le jeu, elle sert l'action et elle doit répondre aussi à certains cadres définis. On se retrouve dans le même questionnement que plus haut, quid de la démarche artistique ?
Maintenant, je pense que l'on prend le problème à l'inverse. Le sujet qui place dans cet ordre "art numérique et industrie de la création" me semble-t-il dirige déjà les débats. L'art devient au service de l'industrie, l'art devient une valeur ajoutée et n'existe plus en tant qu'art. Si on inverse le sujet "industrie de la création et art", l'industrie semble devoir s'adapter à l'art, l'industrie devient un moyen de rétribution et de promotion voire de rétribution essentielle à l'art qui garde sa démarche, son authenticité.
Il est aussi nécessaire à mon sens de différencier les différentes démarches entre art et industrie. L'art par nature ne se suffit pas à lui même, il se doit d'être réutilisé, réinterprété pour exister, être connu. Une démarche artistique qui ferai un album de morceaux de 2 secondes, pourquoi pas, une démarche artistique libre qui transmette des émotions, une réflexion... Mais une démarche commerciale qui demande un produit, n'est pas une démarche artistique. C'est un emploi alimentaire, et il est nécessaire, selon moi de bien différencier les deux pour éviter les dérives auxquelles nous pouvons être soumis (publicité = art, communication = art...), "oui" dans certains cas, quand la démarche artistique dépasse les cadrages voulus au départ, mais "non" dans la plupart où la volonté artistique est soumises aux desiderata et aux objectifs psycho-commerciaux.
Je ne suis pas opposé à tous ces métiers alimentaires mais ils doivent à mon sens être considérés comme tels, et pas comme des démarches artistiques originales, car c'est tromper le public, tromper les gens sur la définition de l'art, et pervertir les missions essentielles de l'art (réflexions, réactions, opposition...).
8 commentaires:
cela rejoint l'étude de la fing portant sur la musique et la "recréation de valeur". l'art doit-il avoir une valeur, monétaire s'entend ? quand à la préemption de la publicité sur l'art, ce n'est qu'un moyen de le monétiser. un artiste confirmé vendra, un autre (spike jonze, michel gondry pour la video) commencera par se faire subventionner ses "créations" pour ensuite réaliser lui-même. le monde 2 a publié une interview intéressante de jean-marie dru, pdt de tbwa, sur le nécessaire retour de la créativité dans la pub. à voir les agences comme des mécènes, pour aller ensuite voir ailleurs.. maintenant, on peut toujours déplorer la mainmise de la pub sur nos vies, mais c'est à nous de choisir ce que l'on veut
Tout à fait.
J'ai fait partie de cette étude de la FING en tant qu'observateur surtout. La position de départ n'était d'étudier que les pratiques commerciales de la musique (la création de valeur) en omettant les site communautaires d'accès à de la musique volontairement donnée en partage par les artistes (la création de valeur étant plus difficile à quantifier, puisqu'indirecte). Le mécénat comme nouvelle forme de subvention de la culture ? Pourquoi pas, malheureusement et malgrès les différentes mesures gouvernementales (défiscalisation...), le mécénat, en France, ne décolle pas d'autant plus qu'être associé à une marque/industrie est très souvent ressenti comme une sorte de prostitution de la part des artistes. Quand son travail artistique n'est pas forcément bercé par "l'esthétisme, le beau...", on n'intéresse pas la publicité qui sélectionne bien ses "créateurs" pour mieux y placer son message de vente (produit/marque).
Autre question, as-t-on vraiment le choix de ne plus avoir de publicité dans sa vie ? Entre les coupures à la tv/radio, les affiches partout (métro, terrain vague...), les marques présentes sur chaque objet de la vie quotidienne... N'est-ce pas vain de prôner "quand on veut on peut" quand tout nous ramène à ces formes de commerce ?
moi aussi sur la fing, surtout pour les coups de gueule ;-)
sur la "prostitution" des artistes, il n'y a qu'à voir chez vous, où l'étendard du "libre" est aussi et surtout revendiqué comme une posture anti-capitaliste (je "chatte" en ce moment sur votre forum, c'est la totale éclatche...)
le problème avec la "culture", c'est que mettre des photos sur flickr c'est de la culture, avoir un blog c'est de la culture, une page myspace idem.. lorsque seulement une fraction de gens se définissait comme artistes, on était dans un monde fini qui pouvait avoir une valeur. dès lors que tout le monde crée, la valeur de la création est dépréciée. certains s'y agrippent encore, car c'est leur coeur de métier, mais comme vous dites dans un post récent, il va falloir remettre en cause le droit d'auteur...
quant à un monde sans publicité, une fois que le renard est dans le poulailler, il est difficile de l'en faire sortir...
Tout dépend de sa définition de la culture. Au sens anthropologique, la culture pourrait être tout ce qui est produit par l'être humain et qui se transmet (par apprentissage, par mimétisme, par héritage..). Par contre au sens économique, la culture semble se définir irrémédiablement comme une élite "artistique" qui crée et qui -peut- en vivre car sa création est rentable. Donc oui, la notion de "valeur" a ici tout son sens, de même que celle de rareté, mais soyons un peu réaliste, la rareté au sens économique, c'est-à-dire suffisamment visible pour qu'elle puisse créer une demande, mais pas trop pour qu'elle soit encore considérée comme "rare".
Je pense que l'on raisonne au sens "capitaliste" mais à échelle humaine, c'est-à-dire en se débarrassant des rapports de "masse" à la culture, à l'économie. On crée de la proximité et donc parfois de la sincérité (crue, imagée, ou réelle) entre les différents acteurs (artistes, producteurs, publics, diffuseurs...). l'analyse globale, et macro-économique, tient ici ses limites.
Pour les flikcr et autres Myspace, la création est souvent intéressante, parfois on se rend très facilement compte que sans investissement de départ, la création est mal perçue ou en tout cas touche moins de personnes (un mauvais enregistrement, une mauvaise prise de vue...). L'apprentissage devient plus généralisé parce qu'il est multiple, mais faire un -bon- morceau ou une belle photo reste souvent lié à l'investissement de la personne qui le produit. On est là dans une limite réelle de la création de culture sur internet, dont les outils sont parfois difficiles à appréhender. Internet n'est pas la panacée de la diffusion de la culture, ça permet à des personnes qui en ont les moyens de mieux se distribuer (en exagérant bien sûr).
En ce qui concerne dogmazic et son forum, vous ne trouverez que ce forum pour avoir une contradiction argumentée avec vos posts, allez voir sur jamendo/bnflower, vous verrez. L'anti-capitalisme est peut-être sous-jacent parfois mais il faut le replacer dans son contexte (celui que je vous ai donné plus haut).
si vous réduisez la culture à l'entertainment, effectivement, c'est une approche purement économique.
pourtant, le web20, les UGC (audio, video, blogs texte, mashup, widget, voire logiciels libres) sont préhensibles comme de la culture dans ses 3 manifestations (art, language, technique). et c'est cette culture là que tentent de privatiser les grands acteurs media (se souvenir de la clause de yahoo messenger qui prétendait s'arroger la propriété des textes du chat, ou encore des premières clauses musique myspace...)
par delà la pauvreté de certaines créations liée à l'inexpérience ou à la faiblesse de moyens (qui ira en diminuant), il faut aussi voir le problème du droit d'auteur à l'échelle humaine, la problématique de la poule et l'oeuf sur une idée. il est heureux que l'europe résiste encore face aux défis des brevets (et pas seulement logiciels, voire le séquençage du génome par exemple).
heureusement, ce que semble oublier le dana de dogmazic, le "peuple" a encore des prérogatives face aux acteurs privés, quand bien même la schizophrénie du citoyen/consommateur commence a transparaître...
quant à la diffusion de la culture, croyez-moi, le web EST la panacée, tout simplement parce qu'il représente la convergence de TOUS les moyens de diffusion. reste à savoir si le réseau, pour l'instant agrégat informel appartenant à tout le monde, donc à personne, appartiendra un jour à un seul...
Je n'ai pas l'habitude de CROIRE sans arguments, le web ne remplace pas une prestation scénique, une rencontre avec des artistes. Etes-vous déjà allé à un concert, à une pièce de théâtre ? On dirait que ces expériences là vous semblent totalement inconnues.
Dans les affaires Msn, Myspace et même YouTube (pour les mêmes raisons), leurs contrats sont illégaux car contraires au droit d'auteur. Voire le sujet que j'ai fait en janvier "le droit moral des auteurs supérieur aux contrats signés ?", même si "on" signe un contrat, le droit d'auteur s'applique. Et le "on" est volontaire puisque le droit d'auteur s'applique sans distinction de qualité, lisez le Code de la Propriété Intellectuelle, il est très intéressant.
Quand à la faiblesse des moyens de productions qui "iraient en diminuant", je ne vous suis pas du tout. Sur quels chiffres vous vous basez, quelle analyse ?
Encore une fois, je ne réduis pas la culture à de "l'entertainement" (d'ailleurs dites-moi ce que vous entendez par ce terme). Elle est souvent considérée comme une sorte de produit d'appel dans les projets culturels municipaux. Je ne sais pas si vous le saviez, mais les municipalités financent, en moyenne car cela peut varier du simple au triple selon les municipalités, 47% des projets culturels (créations, lieux, projets, festivals...) existant dans ce pays. Le financement de la culture n'est pas nationale mais régionale voire locale en France et il est très souvent rattaché à une politique événementielle de communication d'image. Je me détache de cette vision des grandes institutions de la "Culture", néanmoins je garde à l'esprit qu'il faut garder des lieux culturels d'accueil d'artistes et de personnes voulant construire un "acte artistique". Et pour que ces structures soient pérennes, il leur faut des financements, ce ne sera pas les MySpace/Msn qui feront ces investissements à perte. Je vous invite à ce sujet de relire mon dernier billet sur la musique libre et les différentes voies qui s'offrent au mouvement.
Je ne pense pas que l'on parle de la même chose quand on parle de "culture"... Qu'elle est la définition que vous portez ?
je ne fais aucune différence entre rimbaud et un djeuns qui publie chez sur skyblog. c'est l'exposition qui change, et l'appréhension d'une expérience.. le reste n'est que branlage de nouilles d'intellos..
j'ai produit du spectacle vivant, je sais de quoi je parle. mais à mon sens, le ressenti de l'art se trouve autant devant un écran plasma (avez-vous déjà vu des installations vidéos ?) que dans la communion réelle avec des personnes physiques (dans une assemblée, devant une scène)
sur le droit d'auteur, détrompez-vous, le droit d'auteur se mondialise, regardez ce qui se passe à l'OMPI, déjà en France, le droit moral est de l'histoire ancienne (à suivre, l'affaire Koltès...). d'autre part, quand vous signez un contrat US, c'est le droit US qui s'applique... et merci, le CPI est mon livre de chevet !
quant aux budgets de fonctionnement de la culture, tout est affaire de représentations. je connais très bien le fonctionnement d'une institution régionale (idf pour ne pas la nommer); tout est affaire subjective. quant à msn, il feront ce que font les américains, du mécénat, là où les européens font du développement humain...
Le problème de l'affaire Koltès est un problème très classique, il sera effectivement intéressant de savoir si le droit moral sera retenu ou pas dans cette affaire.
Dans l'affaire "Montagné/Barbelivien", au contraire le droit moral est appliqué, après moult rebondissements qui duraient depuis 10 ans, la décision remonte à décembre 2006.
Les traités de l'OMPI ne rendent pas compte du droit moral tout simplement parce que c'est un droit issu du droit français. Néanmoins, les américains y viennent de plus en plus et les affaires où le droit moral serait très utile aux artistes comme aux producteurs se multiplient. Vers quelle direction cela va mener... je ne suis pas un devin pour le savoir, et en affaire de droit, la patience est la plus sage des positions.
Du point de vue du droit, de l'égalité entre les personnes, oui Rimbaud est égal à n'importe quel djeuns de skyblog. Du point de vue de la création, les époques sont différentes et créer à l'époque de Rimbaud, n'est pas la même chose que créer aujourd'hui. Ce n'est pas le même travail, le même investissement. Du point de vue de l'apport à une société, puisque selon Arendt (la Crise de la Culture) les choses sont différentes aussi. On passe d'une culture des élites à une culture de masse.
Si on veut comprendre ce qu’il advient de la culture dans la société de masse, il faut se concentrer sur l’artiste, dit Arendt, « le dernier individu à demeurer dans une société de masse », car l’artiste est « le producteur authentique des objets que chaque civilisation laisse derrière elle comme la quintessence et témoignage durable de l’esprit qui l’anime. » L’artiste lui semble, de ce point de vue l’archétype de l’individu en opposition à la société. En opposition d’abord au « philistinisme », cet état d’esprit qui juge tout en fonction de l’utilité immédiate et des « valeurs matérielles ».
Si on parle d'installations vidéos avec écrans plasma on se retrouve dans un autre univers que celui des djeunz de skyblog, tout comme les pièces de théâtre et cie. Sur internet, même si les possibilités en seraient décuplées, on voit pas beaucoup de "djeunz de skyblog" disserter avec un théâtreux. Les rencontres sont conditionnées par les rapports "réels" à la culture (le capital culturel de Bourdieu par exemple) qui sont autrement plus complexes que illusions du village global. D'ailleurs vous reconnaissez que "le ressenti de l'art s'y trouverait autant". Maintenant le coûts de ses installations ne me semble pas très porteur en terme de "démocratisation" et massification des cultures.
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