mardi 26 février 2008

La culture pour tous est un leurre...

Deuxième chapitre.

Nous pouvons partir de cette prise de position pour en déduire plusieurs conséquences. Premièrement, l'idée même que la Culture descende vers des populations - indirectement considérées comme - non cultivées pose d'éminents problèmes. La nature même du rapport entretenu entre l'institution et ceux qui en attendent une "élévation culturelle" est biaisée. Si on se réfère à Franz Boas, "les causalités des faits culturels reposent sur les interactions entre individu et société" (Revue Socio-Anthropologie N°8-2000, Cultures Esthétiques). Ainsi naîtraient les faits culturels. L'interaction entre une société et ses individus est la cause des faits culturels mais pas de leurs création. En ce sens, ce n'est pas à la société de participer à la création culturelle. Un point de vue assez libéral en somme qui dénie au pouvoir politique sa mission culturelle. Si effectivement la Culture doit descendre vers les populations, il faut dans ce contexte étroit de relation avec le politique qu'elle y justifie constamment sa place et les crédits qui lui sont alloués, sans cela, elle se condamne à un assèchement des efforts financiers à son encontre. Ce rapport biaisé d'une interdépendance malsaine, perçu par certains comme une "Culture d'État" (sombre réminiscence de la culture de la Cour autour du roi), crée malheureusement les conditions d'un malentendu entre les publics et les milieux culturels. La Culture n'est pas destinée aux publics, mais en fait, puisqu'étant menacée dans ses finances par les alternances politiques, destinée à ses financeurs qui ont bien souvent des exigences particulières et peu en phase avec celles des publics. On peut par exemple critiquer le caractère purement événementiel des "fêtes de ville" (Fête des Lumières à Lyon) qui, bien que présentées comme des fêtes culturelles (et elles en ont certains aspects), sont surtout des fêtes de promotion en faveur d'une politique internationale de la ville, une promotion de "l'image", de "l'attractivité" de la ville.

Selon Philippe Urfalino, "En 1981, les municipalités sont le principal financeur public de la culture : 52.5 % des dépenses publiques culturelles contre 38.7 % pour l'État et 8.8 % pour les départements et Régions" ("L'invention de la Politique culturelle", Hachette Pluriel, 2002). Les disparités entre les villes plus petites et les grosses municipalités sont aussi à prendre en compte, leurs parts dans les budgets culturels sont bien évidemment différentes. De même, toutes les formes artistiques ne sont pas logées à la même enseigne. Le monde de la musique classique, de la danse et de l'opéra est un milieu "sur-financé" car en plus des structures importantes à entretenir, les créations coûtent très cher (elles mobilisent beaucoup de personnes (interprètes, musiciens, costumiers, personnels techniques divers...). Ainsi, sur Lyon, malgré une baisse de 8 % du budget des DRAC (Directions Régionales des Affaires Culturelles), le budget de l'opéra de Lyon ne sera pas touché. On le voit, l'objectif ici en temps de vaches maigres financières, est plutôt de garantir à des formes chères de création leur existence. Pourquoi ? Parce que ces arts sont me semble-t-il chargés d'imaginaire collectif (enfin surtout celui des fonctionnaires du ministère) et aussi porteurs d'une image positive de la culture française à l'étranger. Tout comme les danseuses de Saint Petersbourg du Lac des Cygnes ont traversé les régimes politiques (malgré leur attachement à l'image du tzar), ces formes d'expressions culturelles auraient pour vocation à rester, telles des fondements d'une identité collective.

Nous pourrions proposer d'autres réflexions sur ces points.
A titre d'exemple, dans le milieu de la musique il est impensable que ce soit une société privée qui s'occupe de gérer des droits d'auteurs pour ses seuls sociétaires alors que la loi est bien claire à ce sujet, il n'y a que des auteurs et des œuvres, pas d'artistes, ni même de sociétaires privilégiés par rapport à d'autres (en on pourrait continuer la pyramide en parlant des inégalités de traitement des sociétaires dans la même société de gestion de droits, voir mes précédents articles sur le sujet). Le problème donc de la culture pour tous, ce serait donc que structurellement sa mission affichée n'est pas possible avec les moyens qu'elle se donne (et cela en se basant sur le Code de la Propriété Intellectuelle !). Aussi, la conception même de culture est à notre sens à revoir. Une Culture élitiste faite pour des politiques culturelles (intéressantes, parfois fondamentales sur le plan artistique et esthétique nous en conviendrons aisément) ne peut pas rendre sa mission claire auprès de ses publics. Les structures même de financement sont sclérosées par une conception imagée et par une finalité perverse de la Culture. À côté de cela des actions de proximité, de véritable culture participative (avec une équipe artistique comme chef d'orchestre d'une création originale) peuvent être menées mais elles ne représentent pas les plus gros efforts financiers publics. Les lieux de répétition, de création, de représentations se privatisent (le rachat récent de réseaux de salles de spectacles par des majors du disque par exemple), ces structures essentielles pour la naissance de dynamiques culturelles, de rencontres entre artistes, de lieux ouverts sont menacées.

"Les cultures par tous", un concept pas si éloigné des réalités en fait. La culture appartient à tout le monde, mais surtout elle est tellement multiple, fruits de rencontres, de dynamiques collectives, d'origines, de patrimoines, de réflexions qu'elle ne peut se satisfaire d'une politique publique menée entièrement au profit de formes éloignées des nouvelles formes de création culturelles. Cette réflexion n'est pas une réflexion qualitative sur les arts mentionnés (opéra, danse, musique classique...) mais une tentative plus large de reconsidérer les politiques culturelles dans leurs réalités ainsi que dans les réalités même des formes culturelles.

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